• Le haut des marches

    Le haut des marches Bella

    L'endroit était enfumé, bruyant mais mes amies et moi nous aimions bien nous retrouver.

    L'hiver 56 était long et rigoureux, les gens biens ne sortaient pas dans ce genre d'endroit, ils se réunissaient dans cercle.

    Fanny portait cette robe longue, il va de soi, avec un col en plume d'autruche, c'était sa fierté, Nine portait une robe de dentelle, qui date d'avant la guerre, qui faisait son impression, un châle en boa noir complétait sa tenue.

    Moi Luce, une robe en velours dévoré bleu nuit et mon col en renard.

    Fanny nous fait part du côté pressant de deux types, qui se trouvent au fond de la salle, ils l'abordent chacun leur tour, lui promette du travail, et qu'elle sélectionne mal ses rencontres.

    Justement leurs regards sont sur nous, ils jouent au billard avec des autre types du même genre, même style de pompe, même veste tweed, accompagné du pantalon, ils ont dû avoir un prix chez le tailleur.

    -" Si, l'un d'entre eux traine avec le fils d'un tailleur, il y en a au moins un, qui travaille la matière".

    - Travaille tous dans la matière, l'autre matière, c'est l'attrait des filles" qu'on sort en rigolant :

    - Il faut faire bloc, ils vont essayer de nous percer."

    Je leur raconte l'anecdote de la semaine dernière :

    "j'ai fini plus tôt de chez Camille la modiste, le vendredi, j'avais accepté un accompagnement d'un provincial qui voulait découvrir Paris et ses attraits, ça me va, nous nous dirigeons vers la rue Lepic quand, celui de gauche, à la veste marron clair, la tignasse ébouriffée, me dit: "

    - je t'attends samedi 18 heures sous l'horloge gare du Nord. Je n’ai pas eu le temps de dire ouf, qu'il poursuivait sa course. Mon provincial d'une soirée, me dit "

    - mademoiselle Luce vous êtes courtisée". Mon dos oui, et mes fesses oui, parce que cela rapporte et pas qu'a moi. Dans ma tête j'e l'ai dit, pas, à ce brave marchand de tissu de la région de Bordeaux. "

    - Ma parole ils doivent croire qu'on s'intéresse à eux," dit fanny, "deux viennent par ici".

    - Les filles rigolent c'est bon signe, ça va les mettre en condition"

    - Sont trop rigides, il faut les basculer, ça sait pas danser le tango, ça fume et déblatère sur le compte des types comme nous fauchés, c'est tout"

    - T'es noir ce soir dit Milou, raccroches et va-t- pieuter"

    - Je suis pas noir mon pote, j'y vénère, la môme m'a fait un tour de furet, j'l'attends encore, sa fourrure elle l'a sort que pour les vieux et elle remballe tout ce qui bouge, la suédoise. "

    - La suédoise ne veut pas de tes allumettes, je dis, t'as pas compris, nous les filles on bosse seule et pour notre compte, pas d'allumettes et pas de poinçonnages.

    Cherches donc des naïves à percer, des femmes de ménages souples et simples, c'est plus facile à leur demander la lune à elles.

    Elles sont éblouies par les jolies pompes cirées, elles. Nous on fait des chapeaux, et des fringues chics, pour des dames et messieurs, et après on s'amuse ente nous, et comme on veut.

    C'est entendu, message reçu, où il vous faut un mandat et la crotte du pigeon qui va avec?"

    - Beh, nous ont lâchés quand même!

    - Il avait quoi le Louis, demande Nine?

    - je vous dis donc : samedi je suis allé à gare du Nord, mais en avance ; en fait je lui tournais le dos, car j'ai dû demander une cigarette à un passant, la trentaine, bien coiffé et nous avons engagé la conversation.

    Au loin, le Louis venait de la rue du marché, il était avec un autre plus vieux, plus petit, un beau visage, avec des joues rondes et pas trop de cheveux, et des chaussures trop grandes pour lui, ça lui donnait un air à bascule.

    - Déjà vu dit Fanny ! et alors ?

    - Je me suis rendu compte dans les yeux de ma nouvelle connaissance que j'avais l'air 'class" et cela ma revigoré.

    J'ai attendu jusqu'a 15, 18h 15 et je me suis dirigé vers Louis. Prévenant, gentils, il voulait discuter en privé et pas dans la rue, il me proposa un trait de voiture, d'aller vers la banlieue".

    "- Il a pas de bagnole dit Nine !

    - Même réflexion, je lui dis oui pourquoi pas", et je l'ai suivi pour voir cette voiture.

    - Belle voiture pas neuve mais qui fait son effet, une étrangère qu'il me dit, elle sera bientôt à moi, enfin à lui, pas à moi.

    -Je fais le tour, je regarde les plaques, c'est pas français ! j'ouvre la portière, les sièges sont lisses, je suis allergique au cuir je dis, je peux pas monter dedans je suis allergique au cuir.

    -Alors là, la tête du Louis, il s'est gratté la tête à deux mains, du plus mauvais effet, et à tiré sur son col, mal à l'aise le gars.

    - Je me suis écarté, fait mine d'éternuer encore et encore, et j'ai pris le large.

    -Ya-de-quoi pas être content, je comprends l'amertume de sa voix" dit fanny, pour sûr, il voulait vraiment t'emmener quelque part ?

    -Ouais mais sans moi ? la bagnole c'est pas mon truc, je suis de Paris, moi, pas de la banlieue, si elles acceptent ça les filles de banlieue, c'est leur souci.

    -J'avance pas si vite que je le voulais avec ces talons pas pratique, et Louis me rattrape, il était bizarre, désobligeant, sûr ! menaçant, un brin !

    -Il me dit qu'il me reluque depuis longtemps, que je lui plais, qu'il a de grands rèves pour moi, que je suis mal entourée, et qu'il peut faire de grande chose, si je le voulais bien. nan nan nan.

    -Et pour toi Louis c'est quoi ton rêve ? , aller à la Mecque, aller à Deauville, t installer à Barbès ?".dis-je !

    -Avoir une voiture et aller partout" qu'il me répond,

    -c'est bien , très bien, je lui dis, moi aussi je veux voyager!

    - Il me dit :

    - viens discutons tranquillement à l'intérieur, j'ai un pote qui habite pas loin, c'est mieux que le rad." et il m'emmène vers la rue de Dunkerque.

    Un immeuble tout juste reconstruit, et une arrière cour sombre, qui donne sur une maison haute pas encore reconstruite.

    Louis courrait dans les escaliers, content peut-être, les escaliers je me méfis, les marches penchaient vers l'intérieur, le bois était éclaté, et en rasant le mur pour que mon pied et mon talon soit stable, j'ai filé mes bas.

    -Putain de bordel mes bas, une semaine de salaire pour en racheter, je gueulais et je redescends les marches pour voir les dégâts à la lumière du jour et là devinez quoi ?

    ou plutôt qui ?

    le macaque blond, celui qui était avec Louis avant qu'on aille à la voiture, il montait les marches, tête baissée lentement, sans faire de bruit.

    Je me suis subitement senti devenir taureau et j'ai foncé direction la cour, puis le trottoir plein de monde et j'ai tracé la route.

    - T'as eu chaud mince alors me dit Fanny, Ils voulaient quoi à la fin ?

    - Me salir, me torcher à deux, me faire une réputation, et me forcer à travailler pour eux, selon leurs choix.

    -Où te déporter, ça se fait aussi ! elle était d'où la caisse ?

    -Etrangère, mais d'où ?

    -Ben merde alors faut se méfier de tout, même des étrangères avec du cuir !"


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